La majorité des œuvres de Bach pour le clavier fut composée au cours de sa maturité. Bach lui-même les estimait beaucoup, puisque, parmi les quelques compositions qu’il fit imprimer, les œuvres pour clavier occupent une si grande place. Pour les générations suivantes, il fut avant tout le maître de la composition pour clavier, tandis que ses grandes œuvres vocales, de chambre et de musique orchestrale ne furent redécouvertes qu’au cours du XIXe siècle.
L’œuvre pour clavier de Bach, ce sont d’abord les grands recueils, comme les Suites Françaises et le Clavier bien tempéré. Puis figurent également des pièces diverses comme les Fantaisies, les Toccatas ou l’Aria variata alla maniera italiana BWV 989. Depuis longtemps les pianistes transcrivent des pages de Bach issues de Cantates ou de sonates écrites pour d’autres instruments.
Les Suites françaises
Ces six Suites françaises (BWV 812 à 817) sont moins à l’honneur, du moins au concert, que les « anglaises ». Moins brillantes, donc plus « faciles » d’exécution, elles sont aussi beaucoup plus courtes. Et le fait que Bach ait inséré les cinq premières dans le Clavierbüchlein qu’il composa en 1722 pour sa femme Anna Magdalena suggère que le compositeur les réservait à un usage avant tout pédagogique et « domestique ». Bref, il s’agirait ici d’un art plus intime, ce qui ne sera qu’en partie démenti par la sixième et dernière de ces suites, sans doute plus tardive et assurément plus virtuose.
Poussant plus loin la comparaison, on pourrait avec K. Geiringer avancer que, là où les Suites anglaises « offrent un mélange assez confus de traits appartenant à des périodes différentes qui rend plausible qu’elles aient été commencées avant et achevées après les Suites françaises », celles-ci apparaissent « plus unifiées » et, partant, « plus parfaites ». On pourrait ajouter qu’elles sont plus égales en qualité, tout en étant plus variées : l’humeur de ces six suites évolue constamment, des trois premières écrites dans le mode mineur aux trois suivantes composées dans le mode majeur ; à l’intérieur de chaque suite, en l’absence de tout prélude, une grande diversité est de mise dans le choix des différents types de danses où, à côté des quatre « figures imposées » que sont l’Allemande, la Courante, la Sarabande et la Gigue, on trouve tout un éventail de Galanterien (Menuet, Air, Anglaise, Gavotte,Loure, Bourrée et même Polonaise) ; et plus frappant encore apparaît le traitement qu’en fait le compositeur, celui-ci variant fortement les rythmes, les caractères et les types d’écriture en mêlant les styles français et italien avec une habileté confondante.
Ainsi, tout en célébrant « la beauté des allemandes, qui sont parfois de véritables préludes et rompent tout lien avec la danse », Guy Sacre souligne la « variété des courantes, les unes françaises et cérémonieuses (rythme à 3/2 ou à 6/4), les autres italiennes (à 3/4 ), d’allure rapide et de souple mélodie », de même que la « variété des gigues, allant du rythme pointé de l’ouverture française à celui, aussi pointé mais plus vif et déluré, de la canarie, ou encore aux bonds légers de la giga italienne ». Pour un peu, on en oublierait de mettre en exergue les sarabandes de ces Suites françaises, alors qu’ici aussi elles offrent leur lot de beauté, de sensibilité et d’émotion, mais peut-être est-ce le reflet d’une qualité d’ensemble qu’on ne trouvait pas forcément au même point dans les Suites Anglaises.
Reste la question du qualificatif de « françaises » employé pour les désigner. Bach n’étant pour rien dans cette appellation, « peut-on l’expliquer par l’intégration, au centre du schéma classique de la suite de danses, d’un certain nombre de ces mouvements de danses françaises très en vogue à la cour de Versailles : menuets, gavottes, bourrées, loure ? D’un autre côté, on connaît l’influence exercée sur Bach par les musiciens français qu’il découvrit dans sa jeunesse à Lüneburg et à Celle. Ne fut-il pas inspiré pour ses Suites françaises par les clavecinistes français qu’il prenait volontiers pour modèles ? Le style de ces suites, « plus galant, qui favorise la mélodie avant les astuces du contrepoint », plaide en ce sens, de même que la présence fréquente de traits caractéristiques de l’art des clavecinistes français : le « style brisé » (ou « luthé ») des Allemandes des Suites nos 1 et 2 , et la profusion de grâces ornementales des Sarabandes des deux dernières suites, en sont probablement les manifestations les plus évidentes. On ne saurait s’en plaindre, car c’est aussi cela qui fait le charme singulier de ces œuvres.
Composée à Weimar, l’Aria variata alla maniera italiana BWV 989, constitue les seules variations que Bach ait écrites pour le clavier en dehors des fabuleuses Variations Goldberg. « L’air est suivi de dix variations qui appartiennent au style italien, ornant et transformant la ligne mélodique. Certaines annoncent les Inventions à deux voix ; une autre est une tendre cantilène ; une autre une gigue animée ; une autre, enfin, est prétexte à déploiement de virtuosité