Programme :
Leos JANACEK (1854 – 1928)
Quatuor n°1 « Sonate à Kreutzer »
Carl Maria vo WEBER (1786 – 1826)
Quintette pour clarinette et cordes en si b Majeur op 34
Programme :
Quatuor n°1 « Sonate à Kreutzer »
Quintette pour clarinette et cordes en si b Majeur op 34
Quatuor n° 1 « Sonate à Kreutzer » (1923)
I. Adagio con moto, II. Con moto, III. Con moto : Vivace – Andante, IV. Con moto : Adagio
Créé par le Quatuor de Bohême, le 14 octobre 1924 à Prague.
La Sonate à Kreutzer, c’est le roman de Tolstoï écrit en 1889. Le titre en est emprunté à la sonate pour violon et piano n°9 de Beethoven écrite en 1803 et dédiée au violoniste Rodolphe Kreutzer. Pozdnychev personnage du roman raconte à son interlocuteur comment l’expression de bonheur surprise sur le visage de sa femme pianiste jouant cette sonate, a fait naître en lui la jalousie. Convaincu que le violoniste qu’elle accompagne a pris sa place, il assassine sa femme.
Choqué par l’histoire de cette femme adultère assassinée par son mari, il semble que Janacek ait écrit ce quatuor comme un plaidoyer musical en faveur de la femme et contre la thèse de Tolstoï qui justifiait l’attitude despotique du mari. D’autres raisons expliquent l’intérêt du compositeur pour le roman de Tolstoï. D’abord sa slavophilie, qui lui a longtemps permis comme à beaucoup de ses compatriotes, de supporter la domination des Habsbourg, et qui lui a fait entreprendre en 1896 un grand voyage en Russie. Mais aussi sa situation personnelle, écartelée entre Zdenka qu’il a épousée en 1881, et Kamila à qui il s’est lié en 1917, et qui lui inspirera le meilleur de son œuvre. De sa lecture du roman de Tolstoï, Janacek en a déjà tiré un trio en 1908. En 1923, c’est un quatuor qu’il compose à la demande du Quatuor de Bohême. Ce Premier Quatuor achevé en huit jours, semble une application d’un principe que le compositeur a ainsi énoncé : « Cherchez en vous et soyez vrai ». Il y dépeint l’horreur de la jalousie et le coté éminemment tragique de l’amour. La partition est construite tel un drame lyrique où les quatre mouvements s’apparentent à quatre actes au court desquels se déploie la trame dramatique. Le premier mouvement dresse le portrait de l’héroïne, sa vie, ses passions et ses frustrations, sa capacité à aimer, à communiquer. Le deuxième est une scène d’action opposant le 1er violon, séducteur, et les rapports de conquête, puis d’espoir, d’errance, de deux êtres qui se détruisent. A la fin le chant saccadé de l’alto laisse présager l’issue tragique de l’aventure. Le troisième mouvement instruit le procès de la femme adultère et énonce la sentence vengeresse dans un mouvement vif presque satanique. Le mouvement conclusif laisse la femme seule en face de son destin et de sa déchéance. Les dernières mesures ne sont plus que plaintes, pression insoutenable qu’expriment le violon et le violoncelle. L’épilogue est proche de celui de son dernier opéra « De la maison des morts » : tout condamné peut trouver rédemption et doit bénéficier du respect de le dignité humaine. En une vingtaine de minutes, Janacek a résumé la substance du roman de Tolstoï et inventé une nouvelle forme d’opéra sans paroles. Cette suite de scènes instrumentales impose son unité dramatique par sa couleur sonore, une tension harmonique et puissance de contraste inaccoutumée. La partition abonde en notations – « timidement », « comme en larmes » – qui se réfèrent peut-être à des épisodes précis du roman de Tolstoï, mais aussi à l’expérience personnelle de Janàcek. Elle contient aussi l’indication « comme en parlant », significative de la volonté du compositeur de produire une musique qui ait les caractères de la langue tchèque parlée.
Quintette pour clarinette et cordes en si b Majeur op 34
Cinq mois après le 25 septembre 1809, date de l’achèvement du Quatuor, Weber fut, à l’issue d’un bref emprisonnement pour dettes, escorté par la police à la frontière du Württemberg et banni à vie. Installé à Heidelberg et à Darmstadt, il se fit des amis musiciens et rencontra Heinrich Baermann lors d’une visite à Munich, à la mi-mars 1811. De deux ans l’aîné de Weber, Baermann était déjà un clarinettiste réputé: la chaleur et la richesse de sa sonorité et de son style conféraient à l’instrument un attrait tel que Weber lui reconnaissait seulement le cor pour rival. En 1818, un compte rendu du correspondant, à Paris, de l’Allgemeine musikalische Zeitung de Leipzig loue le talent de Baermann, avec une mention spéciale pour son goût musical et pour sa sonorité chaleureuse «qui ne renferme pas la moindre tension, la moindre stridence, lot de tant de clarinettistes». Weber composa pas moins de six œuvres pour Baermann: un Concertino, deux concertos, une série de variations avec accompagnement pianistique, sans oublier le Grand Duo Concertant, où deux virtuoses font jeu égal, et le présent Quintette avec clarinette en si bémol majeur, J182.
Au 24 septembre 1811, Weber note dans son journal: «Commencé comp: Quintett pour Bär:». Des pans du menuet et de l’Allegro initial avaient déjà été esquissés dans les jours précédents, même si l’Allegro ne fut pas achevé avant le 13 avril 1813. Ce jour-là, Weber offrit l’œuvre, encore dépourvue du Rondo final, à Baermann, pour son anniversaire, puis tous deux testèrent ces trois mouvements chez Louis Spohr, le 3 mai – mais le Rondo n’arriva que le 25 août 1815. Peu avant sa rencontre avec Weber, Baermann s’était procuré une clarinette à dix clefs chez Griessling et Schlott, source de nouvelles possibilités techniques, et c’est de toute évidence à Baermann et à son nouvel instrument que Weber s’adresse. (Quelque vingt ans après la mort de Baermann, en 1847, son fils Carl conçut une version de cette œuvre fondée, selon lui, sur la tradition interprétative de son père. C’est cette version qui est utilisée ici.)
Passé des accords liminaires, aux cordes, Weber ouvre son Allegro de forme sonate sur une phrase pianissimo qui s’élève et s’enfle depuis un si bémol aigu – un effet rendu plus accessible par le nouvel instrument. Les notes aiguës reliées sans heurt aux graves font partie de l’invention, tout comme les gammes chromatiques facilitées. Dans le gracieux mouvement lent, intitulé Fantasia, deux passages voient la clarinette s’élever en une longue gamme chromatique fortissimo, répétée pianissimo avant la reprise de l’élégante mélodie. C’est une musique qui, loin de n’être là que pour l’effet, se délecte des nouvelles possibilités expressives qu’interprète et instrument sont désormais à même de maîtriser. L’enjoué Menuetto (sous-titré Capriccio) savoure la capacité de la clarinette à affronter des doigtés jusqu’alors ardus; et malgré un bref frisson romantique du futur compositeur de Der Freischütz, le Rondo final donne plus qu’à penser, même aux meilleurs interprètes, dans ce qui constitue l’ultime salve de virtuosité.