Gabriel FAURÉ (1845 – 1924)
Trio pour piano et cordes op 120
Quatuor pour piano et cordes op 15
Trio pour piano et cordes op 120
Quatuor pour piano et cordes op 15
GABRIEL FAURÉ : Trio en ré mineur op 120
I. Allegro ma non troppo, II. Andantino, III. Allegro vivo
Les dernières années de Fauré furent assombries dans une mesure croissante par les infirmités, mais aussi par une pénible gêne matérielle. C’est pour pallier quelque peu à cette dernière que son fidèle ami Maillot, son hôte d’Annecy-le-Vieux durant les trois derniers étés de son existence, organisera un grand concert de ses œuvres à la Sorbonne, le 20 juin 1922. Les pouvoirs publics s’associèrent après coup à cette manifestation. Mais les premiers mois de 1922 ne virent naître aucune œuvre nouvelle, et le Trio que son éditeur Durand lui avait suggéré d’écrire en resta à quelques esquisses qui ne satisfaisaient guère Fauré. Celui-ci souffrait cruellement de l’usure de son corps, contrastant si vivement avec sa jeunesse de cœur et d’esprit. D’où cette exclamation pathétique, datée de Nice, le 2 février : « Je vais bien. On me trouve très bonne mine. Mais dans la rue j’ai l’air d’un très vieux monsieur qui ne peut avancer qu’à pas lents, lents, lents ! Au diable la vieillesse ! Que ne peut-on s’acheter des poumons neufs et des jambes neuves quand ça devient nécessaire ! ».
Ce que Nice n’avait pu accomplir, la paix d’Annecy-le-Vieux va le rendre possible : le 5 septembre, Fauré annonce : « Je me suis enfin remis à travailler ! », et le 26, il précise : « J’ai entrepris un Trio pour clarinette (ou violon), violoncelle et piano. Un morceau important de ce Trio, commencé ici il y a un mois, est terminé ». Il s’agit de l’Andantino, cependant que les deux mouvements vifs furent composés à Paris dans le courant de l’hiver 1922-1923.
La création en public eut lieu à Paris en juin 1923 par les soins du Trio Cortot-Thibaud-Casals. A l’issue de cette audition, Fauré regagna Annecy-le-Vieux, où il reçut quelques jours plus tard la lettre suivante de la Reine Élisabeth de Belgique, dédicataire, rappelons-le, de la Sonate Opus 108 : « Cher maître, j’ai entendu votre beau Trio qui m’a causé une profonde émotion. Cette œuvre est si grande et pleine de charme poétique et j’ai été enveloppée par cet inexprimable délice qui se dégage de vos compositions. Combien j’ai regretté que vous ne soyez pas à côté de moi à ce moment ! Les artistes qui ont si bien interprété votre Trio m’ont rejoué « ma Sonate », dont la dédicace du grand et cher maître m’est si précieuse ». En sa clarté limpide, en sa radieuse perfection linéaire, le Trio n’est pas un moindre chef-d’œuvre que les pages de musique de chambre qui l’entourent. A côté du Trio de Ravel, c’est la plus parfaite réussite du genre dans la musique du XXème siècle. Il est curieux que l’édition imprimée ne fasse plus aucune allusion à l’alternative entre clarinette et violon, d’abord prévue par l’auteur.
Quatuor pour piano et cordes en ut mineur op 15
Allegro molto moderato
Scherzo (Allegro vivo)
Adagio
Finale. Allegro molto
Les années 1870 furent pour Gabriel Fauré une période particulièrement fertile en événements. En 1871 son professeur, Saint-Saëns, l’invita à devenir membre de la toute nouvelle Société Nationale de musique française, où il fit la connaissance de Franck, d’Indy, Lalo, Bizet, Duparc et d’autres éminents musiciens français, et entendit beaucoup de ses compositions pour la première fois. Saint-Saëns rendit aussi à Fauré le précieux service de le faire entrer dans la haute société parisienne. Les soirées de la célèbre contralto Pauline Viardot en particulier firent une impression profonde sur le jeune compositeur; il y rencontra Flaubert, Tourgueniev, Georges Sand et l’historien et critique Ernest Renan, et s’éprit rapidement de la fille de Madame Viardot, Marianne. Malgré la timidité de Marianne, Fauré persista dans ses attentions pendant près de cinq ans, et ils finirent par se fiancer en juillet 1877. Il semble cependant que l’amour de Fauré n’était pas partage, car Marianne rompit les fiançailles moins de quatre mois plus tard, et avoua ensuite qu’elle avait trouvé son fiancé plus intimidant qu’attachante.
C’est pendant la dernière phase de ces relations frustrantes que Fauré commença à travailler à son Premier Quatuor avec piano, pourtant malgré la sombre tonalité d’ut mineur, la musique ne donne guère le sentiment de drame personnel. Comme dans l’autre chef-d’œuvre marquant de cette «première période», la Sonate pour violon en la majeur (Opus 13), l’intensité de sentiment est compensée par un souci d’élégance et de lucidité formelle. Comme le fit remarquer Fauré lui-même au compositeur Florent Schmitt, le but ultime de l’art doit être d’exprimer ce que l’on ressent avec sincérité, le plus clairement et le plus parfaitement possible.
Le premier mouvement (Allegro molto moderato) est une forme sonate relativement conventionnelle: il ne faut pas s’attendre malgré tout à un drame puissant, minutieusement argumenté à la manière de Beethoven. Fauré est un poète lyrique et non pas un dramaturge: l’évolution mélodique est continue de la première à la dernière mesure et les transitions texturales sont toujours habilement raccordées. Même la dernière apparition du premier thème pointé en majeur est accomplie sans aucune impression de théâtre.
Le Scherzo, «Allegro vivo», est merveilleusement léger. Des accords pizzicato aux cordes, pianissimo, préparent la voie à un ravissant thème aérien au piano qui hésite de façon taquine entre la tonique mi bémol et l’ut mineur du premier mouvement. De fréquentes alternances entre 6/8 et 2/4 ajoutent une touche d’humour, mais la plupart de la musique est légère comme du duvet. Les cordes en sourdine tentent d’introduire un élément de sobriété dans le trio central, mais leurs efforts sont contrecarrés par les triolets perlés et la ligne de basse quasi pizzicato du piano.
L’Adagio, en ut mineur, est l’un des plus beaux mouvements lents de Fauré. On a ici une bonne indication des sentiments de Fauré pendant cette année; 1877, qui de façon traumatique: mais l’émotion est toujours noblement contenue; dans le moindre signe de complaisance. Le premier thème solennel ne déparerait pas une œuvre liturgique (certaines parties du Requiem furent aussi écrites en 1877); mais la coda conciliante a une intimité qui ne convient qu’à la musique de chambre.
Fauré était manifestement mécontent de son finale d’origine; car il le récrivit entièrement en 1883; trois ans après la première exécution du Quatuor. Malgré son énergie impétueuse, la continuité mélodique est aussi importante ici que dans les autres mouvements. Le deuxième sujet, presenté d’abord en mi bémol majeur, est particulièrement mémorable, et on n’est guère surpris du fait que Fauré l’utilise pour couronner son exultante coda en ut majeur.